abysse rentra le soir aux alentours de 18h, comme d'habitude. elle rentrait de quoi, déjà ? de ses cours, peut-être. ou juste d’une sortie avec des amis ? mais avait-elle au moins des amis ? abysse ne sait pas, abysse ne sait plus. ses parents étaient à la maison, ce qui n’était pas très bien rare dans ses souvenirs. alcooliques, chômeurs, violents ? peut-être les trois. elle sait, elle croit du moins, qu'ils se disputaient souvent.
et ce soir là, le soir de son dernier souvenir, la dispute avait été plus virulente que d’habitude. abysse ne se souvient plus très bien. elle s’était enfermée dans sa chambre. mécanisme de défense qu’elle avait adopté depuis l’enfance. elle se voulait distante, observatrice. c’était sa manière à elle de se protéger du conflit du son foyer. elle n’entendait ni les cris, ni le vacarme des meubles et des assiettes brisées. elle était insonorisée, imperméable aux hurlements. c’était devenu son quotidien, alors, elle n’entendait plus rien.
mais elle était sortit, doucement, discrètement. lorsqu’elle avait rasé les murs jusqu’à la cuisine pour récupérer son dîner. mais elle ne récupérera rien. car sur le sol de la cuisine était étendu sa génitrice. le visage et le corps en sang.
“elle était ivre, elle est tombée.”
murmurait son père, affolé.
“tu dois me croire, elle est tombée.”
elle avait hoché la tête.
était remonté dans sa chambre.
ne lui avait fait ni chaud ni froid.
ou peut-être pas.
elle ne se souvient pas.

elle regardait les étoiles, abysse, qui brillaient dans le ciel. elle les regardait dans la mer. elle en admirait les reflets scintillants se mélangeant au travers des vagues. comme si la profondeur abyssale des fonds marins allait absorber toutes cette lumière.
et ça ondulait, revenait, miroitait. c’était agréable.
et beau, surtout.
abysse n’avait jamais vu la mer de toute sa vie. encore aujourd’hui, elle pense que c’était un de ses plus grands rêves. de voir l’océan. elle ne se souvient pas de sa vie d’avant, à part peut-être un goût amer et une profonde tristesse. presque un sentiment d’injustice.
tout ce qu’elle sait, c’est que c'est son souvenir le plus heureux.
et plus elle y pense, plus elle se sent mélancolique.

abysse ne craint rien. car abysse se fiche de tout. d’être enfermée ou libre. d’être vivante ou morte. abysse n’a rien à perdre. abysse n'a pas d'attaches. abysse n’a peur de rien.
c’est vous qui avez peur d’abysse.
car vous ne la comprenez pas.

(en vérité, elle a infiniment peur de la violence physique. elle déteste tout ce qui est brusque. le moindre mouvement inattendu et un peu trop rapide lui crispera les muscles et la mettra aux aguets. et elle vous fixera, l’œil méfiant, en se demandant si vous vous apprêtez à la blesser. abysse n'aime pas le contact. abysse a peur des coups.)

puisque abysse n'a peur de rien, puisque abysse n'a pas d'attaches, il n'a rien de cher à ses yeux, d'important dans son coeur. aucune chaîne ne la retient. abysse est terriblement libre.
parce qu'elle ne possède rien.

mais abysse aime les étoiles.
elle jette, de temps en temps, des petits regards à travers les vitres, dans l'espoir de les apercevoir. elle tente d'être discrète, qu'on ne la remarque pas. c'est son plaisir coupable.
et à chaque fois qu'elle les voit, ça lui serre le cœur.
elle ne sait pas trop pourquoi.

peut-être. ou peut-être pas.
dans le fond, abysse s'en fiche un peu d'être ici.