Il va faire nuit. La lumière décline et l’air se rafraîchit.
Il va faire nuit. Ses yeux noirs parcourent les environs. A ses pieds, le chat miaule.
Il va faire nuit. Son souffle est court, une irrésistible angoisse lui enserre le coeur. Autour de lui, les branches sont comme des griffes. Autour de lui, chaque ombre semble l’inviter.
Il va faire nuit. Le chat miaule encore, trottinant en avant. Ses yeux jaunes deux petites lunes.
Il va faire nuit. Le monde bascule. Racine, rocher, motte, qu’importe, sa chaussure a buté, le faisant perdre l’équilibre. Le monde bascule et son souffle le quitte. Son corps tremble sous le choc, les égratignures le brûlent. Ses lunettes sont tombées. Le chat miaule encore, venant frotter son museau contre sa joue. Il est au bord des larmes.
Il va faire nuit. Il n'y voit déjà plus.

d’ici, on dirait qu’ils sont seuls
d’ici, le monde n’existe pas

La mer roule en contrebas, bruit de fond constant éclipsant presque leurs voix. Presque. Sa poitrine brûle à force de rire, remplie d’embruns et d’éclats de lumière. Comme s’il n’allait jamais s’arrêter. La tête lui tourne. L’air est frais mais en les sentant si proches de lui, il ne peut pas frissonner. Ils le protègent même du vent. Une main caresse son dos, tiède à travers ses vêtements.

il l’entend parler à nouveau
entend une réponse faussement offusquée
ses épaules tremblent sous un nouvel éclat de rire

Son sourire tire sur ses lèvres fissurées. Un goût de sang remplit sa bouche. Il ne s’est jamais senti mieux.

S’il n’a pas de nom, il lui revient par teintes. Carmin, azur et doré, comme les vêtements qui jonchaient le sol. Il demandait si ça lui irait, tournant dans sa veste pailletée. Tout lui va. S’il n’a pas de nom, il lui revient par sons. Un rire hors de son champ de vision. Une voix qui lit pour lui à voix haute, hésitante sur certains mots mais ô combien appliquée. Le miaulement d’un chat noir, entre ses mains tâchées de couleurs. Peuvent-ils le garder ?

S’il n’a pas de nom, il aimait peindre. Il aimait chanter à tue-tête, même quand ça devenait très faux. Il aimait qu’il fasse chaud. Il aimait les citrons. Il aimait ébouriffer ses cheveux et lui voler ses lunettes. Il aimait les emmener loin, conduire avec la fenêtre ouverte, jusqu’à ce que l’air prenne une odeur d’embruns. Jusqu’à ce que le seul bruit de fond soit celui des vagues.

S’il n’a pas de nom, il brillait si fort.

Il ne sait pas s’il a peur mais il est hautement dégoûté par l’attention soutenue qu’on lui porte lors des examens cliniques. Regardez ailleurs. Qu’est-ce que vous cherchez ? Toutes les failles ? Toutes les erreurs ? Il a oublié mais il sait qu’il y en a plein. Laissez-les où il ne peut pas les voir. Il a oublié mais il est coupable coupable coupable.

Oui. Non. Lunettes ne sait pas. Lunettes n’aime pas son nom. Il est faux. Lunettes aimerait être seul ou ne pas être tout court parce que ..? Ca lui échappe. Lunettes n’aime pas cet endroit avec trop de monde et trop de règles mais il garde ses commentaires dans sa tête. Il essaye de se rassurer: au moins, ça sent le propre.