« Il est bon mon poisson ! Il est frais mon poisson ! ». Il a les orteils qui débordent de ses claquettes. L'eau froide qui s'échappe du bassin des écrevisses lui mord les pieds. Mais il est heureux. Comme un banc de sardines curieuses et vives, la foule s'est déjà amassée autour de lui. S'il n'était pas aussi mastoc, sans doute qu'elle pourrait l'avaler. Mais il surfe sur la vague de clients, hélant et riant et chantant presque ses « Il est beau mon poisson ! » par-dessus le crépitement d'un lecteur CD qui crache un air de son pays.

Les lueurs blanches couplées aux odeurs de désinfectant et de sueur pourraient lui faire lever les yeux au plafond avec cette expression de dégoût ennuyé qu'on lui connait tant, mais son regard s'est arrêté sur cette petite chose. Cette toute petite chose, toute fripée et toute rose avec ses touts petits poings tout serrés pas plus grands qu'un seul de ses gros doigts. On lui passe entre les bras le bébé enveloppé dans un linge à motifs feuilles de bananiers. « Bonjour ma fille » qu'il soupire sans oser hausser la voix, les larmes défilant sur ses joues.

Son alliance. Sa guitare  vient en seconde place.

La noyade. Ou mourir à cause d'une arrête de poisson cachée.

Ce serait plus facile si on avait une piscine. Ou si la musique était meilleure.
Il ne l'avouera jamais à haute voix mais l'ambiance kitsch style jungle tropicale lui plait en réalité beaucoup.