Ces lèvres du Diable qui possèdent si entièrement l'art du mensonge | Milkshake

Difficulté de s’acclimater à ce ciel étoilé. Pourquoi est-ce si contradictoire des impressions qui lui reste tenace dans le coin de sa mémoire ? Tout cela, est-ce un mirage, ou est-ce son subconscient qui créée de toutes pièces des sentiments, des approximations de quelque chose qui n’a jamais existé ? Elle tente de chasser, pourtant, dans ses battements de cils, ses mouvements de mains et ses sourires resplendissants l’angoisse qui la ronge et l’incompréhension stupide de ce qui se trame ici. Elle soupire, élève de nouveau le visage vers l’immensité qui se défile au-dessus de la surface transparente. Plafond de l’Univers, rien de plus rien de moins. La stricte vérité, ou le plus parfait des mensonges.

Voilà son quotidien maintenant, qu’importe qu’il a été différent avant. Il n’y a plus que lui, et ses battements millimétrés aux secondes près. Une routine qui l’emmène, la soupèse dans sa grâce esquisse. Elle n’a le droit à aucune fantaisie, tout doit être réglé, appelé, acclimaté. Rien ne doit dépasser, tout doit être parfaitement carré. Et alors ?

Et alors ?
Elle, elle créée des problèmes. Elle, elle hurle, elle se débat, elle charme et elle opère. Médicalement, doucement. Elle manipule, elle fouine, elle négocie et elle tente. Elle tente à s’en noyer, à s’en brûler, à en pleurer. Mais seulement dans son lit, seule, au coin de sa nuit. Le reste du temps, oh non, toujours des sourires aguicheurs, des mimiques irréprochables et son sourire. Son si beau sourire qui ferait fondre la plus polaire des banquises.

Pas de tango, elle porte sur son passage, au grès de ses envies, de sa vie faussement bien rangée. Soit. Elle esquisse quelques enjambées de danse, elle chante et elle tente de profiter de son une heure et demi dans la Cour Centrale. Bientôt l’heure du coucher pour son quartier, mais avant elle doit rechercher une tête merveilleusement connue. Il demeure la seconde personne qu’elle a réellement entraperçue, elle lui voue une amitié altérée. Qu’elle ne peut oublier, glisser sous le tapis. Il est des premiers avec elle, ils doivent être ensemble. En aucun cas s’abandonner.

Et enfin, après vingt minutes à sillonner malicieusement son espace elle le trouve. Ses angoisses s’envolent, ses soupirs se calment. Elle frappe dans ses mains, elle zigzague, balancement de ses hanches, féline.

Paf.

Elle lui saute dessus, attrape ses épaules et dépose un baiser sur sa joue.

- Molly te voilà !

Elle sait qu’il n’apprécie pas ce surnom. Alors elle reprend un ton plus bas, attrapant le bout de son bras.

- Salut Milkshake. Chouette journée ?

Et elle l’observe, charmante, ondulante. Elle plante ses océans dans ses rubis. Et elle sourit, oh oui, elle sourit. Langue entre les dents. Toujours, à jamais.

Ces lèvres du Diable qui possèdent si entièrement l'art du mensonge.

Elle explose de rire. Sifflant lentement entre ses dents. Il ne supporte pas le rendement intempestif qui a lieu ici. Comme beaucoup finalement. La même chose répétée inlassablement. Lever, repas, examen, repas, amusement surveillé et temps libre, repas, référencement, écran et nuit blanche. Encore. Encore. À se taper la tête par terre. Elle s’en met à apprécier la moindre pierre différente sur son chemin. Un examen plus musclé, un tour en isolement, des médicaments plus abrutissants, que de nouveauté qui lui permettent stupidement de ne pas sombrer. Ce qui n’est que peu enviable, se transforme en un jeu dangereux pour elle. Rien à feindre de la mort, serait-ce pire qu’ici ? Où sont-ils dans une sorte d’enfer ou de purgatoire affligeant ? Non. Ils ne sont pas inventifs… Et à vrai dire, elle n’est même pas certaine de réellement comprendre ces concepts.

Cependant, illuminer sa journée, cela est précisément dans ses cordes. Elle n’est pas inepte, elle sait parfaitement que la plupart des gens ici la fuit. Pas durablement, pas continuellement, puisqu'elle leur procure un réconfort certain. Elle est solaire, délicieuse, attirante, certes. Elle est aussi un tourbillon bruyant, insupportable et synonyme de problème. Elle peut admettre qu’il est pénible de la côtoyer. Et bien soit, elle peut vivre avec cela. Sans problème, qu’importe tant qu’elle n’est pas abandonnée. Qu’importe tant que de manière morphème certains l’aimes. Qu’importe tant qu’occasionnellement, on la suit aveuglément dans ses péripéties, ses vagues tragédies. Elle représente aussi dignement le serpent tentateur que la pomme qu’il ne faut pas croquer au risque de se faire damner. Dans ce vaste lieu, n’est-elle pas elle-même la personnification du danger ?

- Oh Molly…

Elle se coupe à son mouvement. Le laissant faire. Elle accepte le compliment avec un léger rougissement. Incontrôlable. Elle détourne lestement le visage et se mord la lèvre inférieure.

- Merci, souffle-t-elle.

Elle fait mine de réfléchir, rehausse son visage vers lui ; pourquoi sont-ils tous si grands ? ; avant de sourire franchement. Sur la pointe des pieds, le souffle au creux de son cou, elle déploie un dernier effort pour se lever un peu plus.

- Tu sais, murmure-t-elle dans le creux de son oreille, je ne crois pas que tu puisses tomber sur meilleure personne pour enflammer ta journée.

Elle explose de nouveau d’un rire franc. Se laisse tomber de nouveau et marque un pas en arrière, esquissant une légère révérence gracieuse.

- Je demeure ta dame !

Elle enserre sa prise sur son bras et elle l’emmène vers la statue centrale. Arrivée, elle le lâche vivement. Féline, elle finit par s’installer complaisamment sur la stèle de pierre. Elle mêle ses jambes, balaye ses cheveux et recherche son regard dans un sourire charmeur. Elle lui fait signe de s’asseoir à ses côtés.

- J'y pensais... Tu as une idée de ce qui pourrait m’envoyer à l’armurerie ?

Plein de candeur. Elle sourit à cette réflexion et lui lance un regard emplit de tendresse. Elle est incertaine de vouloir s’y perdre, pas que ces idées soit prévisiblement stupide. Molly représente une source d’apaisement pour elle. Toujours d’humeur égale, serviable. Il n’est en aucun cas un poids ou une accoutumance dangereuse. Il est là, fondamentalement là. Pas vraiment comme les divers autres des gens qu’elle côtoie dans le bloc Nord. Il est une surface fraîche, agréable et ombragée. Un parfait coin d’été. Une oasis rêvée. Elle aime passer du temps avec lui, bien plus de facilité. Confinés dans ce lieu emplis d’absurdité. Mystérieux tortionnaire est ce Michel. Mais comment ne pas se laisser porter ?

Certains jours, il est effectif qu’une traîtresse voix lui susurre des envies de briser chacun de ses repères, chacune de ses colères. Ensevelir, enserrer dans une routine parfaite. Ne plus poser de question, ne plus recherchée et attendre jusqu’au fin fond de l’humanité. Elle perd sa raison de vivre, de se battre au profit d’un confort étrange. Pas que tout soit parfait, pas que tout soit agréable. Mais pourquoi ? Pourquoi se fatiguer ? Pourquoi hurler et se déchirer ? Elle pourrait exclusivement divertir son errance, apprendre sans profit, rester à ses côtés.

Aime-t-elle la vie un tant soit peu ?

Elle susurre, elle chante. Délicatement, elle se relève, lui attrape la main et tourbillonne devant lui. Ainsi. Sans raison. Elle doit reprendre une contenance, chasser ses idées noires. Si seulement tous savaient comme elle aimerait posséder une flegme liberté et des rêves brisés. Un rire épars passe ses lèvres charnues. Et doucereuse, elle se penche de nouveau vers lui.

- Ce n’est pas stupide. Mais je doute qu’ils ne puissent croire pareille situation. Non. Je parlais de me faire punir. Il y a une rumeur…

Elle marque une pause, parle tout bas.

- Il paraîtrait que nous pouvons obtenir des « visites pédagogiques », elle marque des guillemets avec des doigts, à l’armurerie.

Elle explose de rire. Balaye l’air de ses mains. Elle bats quelque peu des cils et se laisse tomber encore à ses côtés. Elle précipite sa tête sur son épaule, clos ses océans et reprend une respiration lente.

- Dis Molly… Tu m’accompagneras ?

Elle lui dédie un brûlant sourire.

- Moi, je t’accompagnerais jusqu’au bout du monde.